08 avril 2008

Opération vampire sexy

Toujours préoccupé par l'élaboration de vraies solutions aux vrais problèmes qui touchent le vrai monde, le Trio de la musaraigne constipée organisa, en février dernier, un vaste symposium de réflexion sur les thèmes suivants: "Quel chemin vers le bonheur universel?" et "Qui aura la responsabilité de pelleter ce chemin?"

La station de ski du Mont Sutton fut choisie comme lieu du symposium pour sa position stratégique et pour le prix de ses billets de journée, moins chers qu'à Jay Peak. Malheureusement, ce jour-là, l'humanité avait affaire ailleurs, et c'est pourquoi les membres du Trio de la musaraigne constipée se proposèrent bénévolement pour la représenter.

Or, au jour dit, quelle ne fut pas notre stupéfaction, à Benoît et à moi, lorsque, après avoir sonné matinalement en la demeure princière de Danaïl, nous nous fîmes annoncer que le principal intéressé ne pourrait prendre part à notre trépidante expédition, sous prétexte du réveil d'une vieille blessure de guerre. Il était effectivement mal en point. Entre deux râles, il nous fit comprendre, à travers un gargouillis de sons rendus imperceptibles par l'écume qui envahissait sa bouche, qu'il mourrait de rage à l'idée de nous abandonner dans un moment si critique, qu'il maudissait l'injustice de la nature qui l'avait dotée d'une constitution si diproportionnellement fragile avec la grandeur de ses ambitions, etc, etc. Touchés par le spectacle de cet être terrassé par la maladie, qui, le visage labouré de pleurs, maudissait la cruauté de l'existence en lacérant de ses ongles nos pantalons de neige, Benoît et moi résolûmes, bien qu'il ne fût pas nos habitudes de laisser des blessés sur le champ de bataille (sans les achever, je veux dire), d'obéir à ses supplications et de poursuivre la mission coûte que coûte. Ce symposium aurait lieu, peu importe les sacrifices nécessaires.

Benoît et moi étions ébranlés par cette scène déchirante d'abnégation de la part de Danaïl, mais nous regagnâmes la voiture l'oeil sec et fier, car les vrais durs ne cèdent jamais au sentimentalisme, sauf quand le chien meurt à la fin du film. Mais bon, Danaïl n'était pas mort, et ce n'était pas la fin du film.

Quelques minutes plus tard, nous contemplâmes l'émouvante réaction de Carlos, et surtout de son chien, à l'annonce de l'absence de Danaïl. C'était un spectacle lamentable: dès qu'on lui fit part de la nouvelle, il se mit à courir partout, à s'attaquer au mobilier, à crier de façon insupportable et je résistai héroïquement à la tentation de l'envoyer valser au bout de la pièce d'un coup de pied bien placé (je parle du chien, bien sûr. Carlos, lui, ne courait pas partout).

Le voyage d'une heure en voiture nous permit de surmonter collectivement le traumatisme des événements du matin, si bien que nous abordâmes le symposium en toute confiance vers 11 heures.


Ce fut une très belle journée.



Les discussions furent très fructueuses.



Nous décidâmes d'aborder le sujet crucial de l'avenir de l'humanité par le biais de l'art, car nous étions convaincu que la beauté est le seul remède au mal. Tout en nous laissant balancer par le vent dans le remonte-pente entre deux descentes, nous élaborâmes donc le scénario d'un film qui résumerait nos convictions profondes et les rendrait accessibles aux masses incultes. Dès le départ, nous convînmes que ce film serait un film d'horreur-sportif-sexy. Plus précisément, on y raconterait l'histoire d'une bande de jeunes snowboarders beaux, mixtes, souriants et décontractés qui, après avoir été déposés en hélicoptère sur une montagne pour y faire la descente de leur vie, était décimée par de mystérieux vampires en ski. Emportés par l'enthousiasme créatif, nous élaborâmes même la cinématographie de plusieurs scènes, comme celle où, alors que les jeunes badinent d'un ton désinvolte dans l'hélicoptère, la montagne apparaît en arrière plan, sombre, menaçante... comme le terrible pressentiment des horreurs à venir. Ou encore la scène où, réalisant la menace qui les guette, tous les jeunes décident rationnellement de tous se séparer et de courir seuls comme des affolés (en bikini ou en boxer) dans le bois plutôt que de rester ensemble pour se défendre. Bref, un film à la fois profond, pertinent et accessible. Symposium réussi!


P.S. Pour ceux qui se demandent quel est l'objet à gauche sur la photo, c'est l'étui de l'appareil photo fiché au bout d'un bâton de ski, ou encore la main d'un vampire sexy, à votre choix.